Le mycologue
"Mycologie rime avec poésie"
"Après tout, mycologie rime bien avec poésie : richesse des couleurs,
variété des formes ouvrent à l'homme les portes de la forêt et le
rééquilibrent avec son milieu naturel", ainsi s'exprime André Antonin,
en 1971, lors du 2ème Salon du champignon organisé par la Société
mycologique d'Alès.
En effet, si la mycologie n'est pas source première d'inspiration, elle
est une seconde passion. On note deux occurrences de noms de
cryptogames à l'origine d'images dans l'oeuvre poétique.
L'une, dans
Pluriel du temps, a une connotation négative :
le coeur livide entolome
(Le Jugement)
L'Entolome livide, de la famille des Agaricacées est un champignon
d'une grande toxicité. Déterminant le coeur, il suggère l'idée de
maladie ou de mort. Alors, pauvre coeur empoisonné !
L'autre, dans
Jour sans merci, a une connotation très positive :
Nuit que rien n'entame,
excepté l'oronge des lèvres,
le feu des sources ...
(La Course)
L'Oronge ou Amanite des Césars, élégante et délicate, est
réputée excellente. Par son contour parfaitement dessiné,elle
rappelle la ligne des lèvres, par sa couleur rouge-cuivré leur couleur.
La métaphore filée évoque la flamme d'un amour sublimé.
Amanite des
Césars
(amanita
caesarea).
Montagnes autour de Piacenza, septembre 2005.
Auteur :
Archenzo
Depuis toujours, le poète aime parcourir les bois pour la cueillette
des champignons comestibles ou non. Le plaisir du gastronome n'exclut
pas celui du scientifique. Une précaution élémentaire est toujours
respectée : ne pas mélanger les espèces comestibles et celles destinées
à la détermination !
Durant les années parisiennes, il fréquente les bois de Verrières ou la
forêt de Sénart, puis les bois profonds du Morvan où il séjourne en été
et, plus tard, s'ajoutent les Cévennes méridionales encore lumineuses
et prolifiques en automne. Y abondent les bolets robustes et ventrus,
aux chapeaux parfois larges comme des assiettes que l'on vend à prix
d'or sur le marché d'Alès. Bien d'autres espèces réjouissent
prospecteurs et amateurs. Il offre à ses convives des fricassées
savantes, concoctées avec d'audacieux mélanges qui donnent à la cuisson
des couleurs verdâtres ou bleuâtres à en faire pâlir plus
d'un. Dans sa résidence du Morvan, à la fin de l'été, émanent des
effluves âcres et odorants, libérés par des cèpes coupés en lamelles,
séchant dans des cagettes.
Dès 1969, il préside l'Association mycologique d'Alès, entouré de
spécialistes et d'amateurs tels Messieurs Lacroix, docteur en
pharmacie, S. Kizlik, professeur, M. Gordot... Chaque année, de 1970 à
1976, est organisé avec les membres de l'Association, un Salon du
champignon dont la renommée va grandissant et qui attire un nombreux
public.
D'éminents mycologues comme M. J. Savignoni, de la Faculté des Sciences
de Grenoble, M. René Charles Azéma, président de l'Association "Charles
Flahault" de Perpignan, M. et Mme Louis Riousset d'Avignon, M. Georges
Becker de Montbéliard... y contribuent ainsi que les chercheurs du
Centre de cytopathologie de Saint-Christol-lez-Alès dirigé par le
professeur C. Vago. Lors du VI ème Salon, un millier de
cryptogames correspondant à plus de 300 espèces sont présentés et
déterminés
(voir la
liste).
Ainsi, les travaux de la Société mycologique d'Alès, devenue membre de
la Société mycologique de France sont reconnus au plan national.
Très actif sur le terrain, André Antonin affine aussi ses observations
scientifiques au microscope et annote ses livres de
références, entre autres, les planches et les textes de l'ouvrage
Les champignons de France
de A. Maublanc.
Il organise des séances d'initiation et de vulgarisation pour les
Alésiens, publie des articles dans la presse locale :
"Les bolets bleuissants, ces
méconnus" (Le Petit Cévenol, 1974) où, tout en
recommandant la prudence à "l'amateur mycophage" il rappelle qu'aucun
cèpe n'est réellement dangereux et revèle aux méridionaux les noms
scientifiques des espèces bleuissantes vendues sur les marchés sous les
noms pittoresques de Boumbocabros ou Pissagos.
En compagnie de M. S. Kizlik, il détermine l'espèce responsable d'un
empoisonnement : le "Tricholoma tigrinum", malencontreusement confondu
avec l'un des nombreux "Grisets" des garrigues.
Invité à participer aux "Journées mycologiques du Languedoc-Roussillon"
organisées par le Professeur G. Chevassut de l'Ecole nationale
supérieure agronomique de Montpellier et M. R. C. Azéma, il va à
Bédarieux où alternent cueillette en forêt et travail en salle pour la
détermination. Joyeuses rencontres probablement ! Ne dit-on pas que,
pour animer les réunions, M. Azéma à l'âge de 90 ans encore
entonnait le chant
du mycologue ?
Toutefois,
une légère ombre au tableau : sa correspondance avec la Société
mycologique de France, à qui il propose au début de l'année 1977 une
communication sur de récents travaux à l'étranger - notamment en
Allemagne et en Suisse - intitulée :
(Document présenté : manuscrit intégral avec
corrections)
Les résultats de ces travaux
encore jamais publiés en France mettent en évidence l'importance de la
pollution sur les champignons et les dangers encourus par l'homme même
avec les espèces comestibles cueillies loin des villes. L'originalité
de cet article tient au fait qu'André Antonin veut faire connaître
au monde de la mycologie des résultats alarmants pour la santé, obtenus
par des experts de l'agro-alimentaire dont les recherches démontrent
l'impact d'une pollution beaucoup plus généralisée qu'on ne le pensait
dans le milieu des mycologues.
Dans un premier temps, la communication est jugée intéressante et
acceptée
par la SMF (lettre du 23.3.77) puis, refusée sous prétexte
que ces travaux auraient été déjà publiés mais on se garde de
préciser où (lettre du 7.4.77). L'argument n'est pas recevable car
l'information, à cette époque, n'a jamais été communiqée en France.
Sans doute, le mycologue n'aurait-il pas renoncé aussi facilement et
aurait publié son article dans d'autres Revues si la mort ne l'en eût
empêché. Son décès a mis fin à d'éventuelles polémiques.
La prise de conscience des méfaits des métaux lourds a été lente en
France.
Pendant lontemps, on a cru que le danger concernait uniquement les
champignons cueillis à proximité des lieux de pollution. Ainsi, début
1977, le Directeur du Centre de Recherches d'Avignon, Station d'Etudes
de la Pollution atmosphérique (INRA), en réponse à une lettre du
mycologue, écrit: "En ce qui concerne le plomb, son aire de
dissémination est limitée aux abords immédiats des routes et
autoroutes. Enfin, à propos du cadmium et du mercure, je manque
réellement d'informations .... Il s'agit, en outre, très
vraisemblablement de dépôts superficiels de sels peu ou pas solubles."
De même, la parution plus tardive d'articles écrits dans les années
1978 et 1985 par R.C. Azéma sur le sujet sont révélateurs.
On minimise encore le problème en limitant les taux dangereux de
pollution "aux champignons poussant aux environs d'usines chimiques ou
dans les grandes cités" :
-
La pollution mercurique des champignons, Collection de
médecine légale et de toxicologie médicale, 1978, vol. 106, p.
185-202 et : Documents mycologiques, 1978, vol.8 (29), p.
1-13.
-
La pollution des champignons par des métaux lourds,
Documents mycologiques, 1985,
vol. 15 (59), p. 1-10 et : Bulletin trimestriel de la Société
mycologique de France,
1985, vol. 101 (1), p. 7-16.
De
plus, l'auteur de ces articles déclare plus tard encore (in :
Valeur alimentaire des
champignons, 2004) avoir été "l'un des premiers
à signaler le problème en Europe"!
Aujourd'hui, force est de constater que les mycologues adhèrent à
l'idée de
l'absorption des métaux lourds par le mycélium et leurs graves
conséquences sur l'homme à plus ou moins longue échéance. Cela fait
même l'objet de Travaux pratiques dans les Universités, à Lille,
Strasbourg ou Lyon par exemple.
Ainsi, écologiste de la première heure par son choix de vie - André
Antonin
s'imposait un régime alimentaire draconien - et par ses idées, le
mycologue apparaît comme un précurseur. En souhaitant faire connaître
les récents travaux sur la pollution de chercheurs étrangers
encore non publiés en France, en insistant sur le fait que cette
pollution s'étendait bien au-delà des zones urbaines traditionnellement
contaminées, il tirait dès 1977 la sonnette d'alarme et choisissait la
voie de l'avenir.